Un rapport de l’Inserm publié en juin 2021 fait le point sur les effets de l’alcool, sa consommation en France et propose des stratégies de prévention. Passons en revue ses grandes lignes avec le Dr Mété du CHU de La Réunion.

Le petit rhum qui détend, la bière qui rafraîchit ou le verre de vin convivial sont culturellement bien ancrés dans notre société…

Pourtant, consommer de l’alcool, même en quantité “raisonnable”, peut avoir des conséquences graves sur la santé. Dans une expertise publiée cette année, l’INSERM met en lumière les raisons pour lesquelles il est peut-être temps de dire “stop” !

Alcool : La spécificité réunionnaise

49 000 décès et 118 milliards d’euros de coût social par an »¹ : ce sont les tristes conséquences de la consommation d’alcool en France.

La Réunion ne fait pas exception à ce problème majeur de santé publique, même si elle présente des spécificités locales : « une très nette surmortalité régionale, principalement masculine, qui place La Réunion aux premiers rangs régionaux et le plus haut taux régional de passage aux urgences en lien direct avec l’alcool en France »².

Si, à La Réunion, on consomme moins d’alcool au quotidien et que les alcoolisations ponctuelles importantes (API) sont inférieures à la moyenne nationale, les alcools consommés sont plus forts. « 49 % des alcools que l’on boit localement sont des spiritueux, dont 70 % sont des produits locaux : rhum ou produits dérivés. En France métropolitaine, les spiritueux représentent 21 % de l’alcool vendu, le vin restant le premier alcool consommé » précise le Dr Mété, Chef du service d’Addictologie au Centre Hospitalier Universitaire de La Réunion site Nord (Félix Guyon) et Président de la Fédération Régionale d’Addictologie de la Réunion (FRAR).

Or, la dangerosité, la toxicité d’une boisson alcoolisée sont liées à la quantité d’alcool absorbé. Un rhum à 49° comporte 49 % d’alcool, ce qui signifie qu’on peut en absorber très rapidement en grosse quantité.

Pas de consommation sans risques !

Publiée en juin 2021 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’expertise collective intitulée Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool rappelle que le « risque zéro » n’existe pas, dès lors qu’il y a consommation d’alcool.

« L’alcool est une substance toxique, addictive et cancérigène, affirme le Dr Mété. Cette expertise de l’Inserm fait une mise au point sur la base des données scientifiques [et montre que] qu’il existe un risque pour la santé dès le premier verre. Si ce risque est minime lors d’une faible consommation, il devient exponentiel en fonction des quantités consommées. Il existe donc un risque quantitatif, mais aussi un risque qualitatif et situationnel selon certaines populations [voir plus loin, NDLR] ».

Selon l’Inserm, “la consommation d’alcool est [en effet] responsable directement ou indirectement d’une soixantaine de maladies : maladies alcooliques du foie mais aussi pathologies cardiovasculaires, pancréatites, certains cancers notamment digestifs et du sein, sans compter les troubles psychiques, la dépression, les suicides et les dommages occasionnés par des accidents ».

Repères et recommandations pour « mieux » boire :

Le dernier rapport de l’Institut ne parle donc plus de « seuils de risque » mais de « repères de consommation à moindre risque », revus à la baisse par Santé publique France en 2019.

« Pour votre santé, l’alcool c’est maximum 2 verres par jour, et pas tous les jours. »³, soit un maximum de 10 verres par semaine, avec 2 jours d’abstinence.

Ces repères doivent plus particulièrement s’appliquer aux populations les plus vulnérables.

Personnes vulnérables : Restons prudents !

Selon la catégorie de personnes, le risque est plus grand. Il est donc nécessaire de garder une certaine vigilance vis-à-vis de l’alcool.

Chez les jeunes

« On sait que l’alcool a plus d’impact chez un jeune car la croissance de son cerveau se poursuit environ jusqu’à 22/24 ans, précise le Dr Mété. Les fonctions cognitives et exécutives les plus fines du cerveau se finalisent donc très tardivement. L’alcool, en perturbant ce phénomène de maturation, peut entraîner des difficultés. Par exemple des difficultés avec les règles sociales, pour anticiper des situations complexes, dans les apprentissages, etc. Il y a également un risque augmenté d’addiction à l’alcool et à d’autres substances addictives ».

En période de conception et chez la femme enceinte

« Dès qu’il y a un projet de grossesse, la future mère devrait s’abstenir de consommer de l’alcool. Et ce serait vraisemblablement valable aussi pour le géniteur, même si les données ne sont pas tout à fait aussi établies que pour une consommation chez la mère , alerte le Dr Mété.

Aujourd’hui, selon l’expertise de l’Inserm, il y a encore à peu près une femme sur cinq en France qui consomme de l’alcool pendant sa grossesse. Or, l’exposition prénatale à l’alcool est la première cause de handicap mental non génétique (4). Elle entraîne des risques de malformations à la naissance, mais aussi de troubles neuro-développementaux qui ne sont pas visibles immédiatement. Les enfants peuvent alors avoir des problématiques d’hyperactivité, de difficultés d’apprentissage, d’incapacité à moduler leurs émotions, de risque de passage à l’acte, et surtout, de risque addictif supérieur à la moyenne  (5);.

Autres populations vulnérables

Le spécialiste de l’addictologie poursuit : « On retrouve également dans les études les personnes âgées, isolées, atteintes de troubles psychiatriques, qui sont en précarité sociale ou encore, de manière assez importante à La Réunion, des personnes victimes d’agression et qui ont des psycho traumatismes ».

Mais qu’est-ce qui nous pousse à boire ?

D’après l’expertise de l’Inserm, nombreux sont les facteurs de risque de la consommation d’alcool :

  • son prix, sa disponibilité et les normes relatives à sa consommation, qui sont associés à des « perceptions positives » (à La Réunion, les alcools forts comme le rhum et ses produits dérivés sont en grande partie exonérés de taxes, permettant des alcoolisations massives),
  • l’impact du contexte de consommation (l’alcool comme « liant social », boisson festive, etc.), des difficultés socio-économiques, des pairs, des parents et de la culture relative à l’alcool,
  • l’influence du niveau de production, de distribution et de régulation de l’alcool,
  • l’influence des facteurs individuels/psychologiques comme les expériences vécues, les problèmes de comportement, la recherche de sensations…,
  • l’influence du marketing sur les niveaux et modes de consommation. « A La Réunion, la publicité [pour l’alcool] est massive car le secteur est très concurrentiel. Les grandes surfaces utilisent souvent l’alcool comme produit d’appel en faisant des promotions, y compris en mettant en avant des boissons alcoolisées attractives pour les jeunes, relève le Dr Mété. Or, les jeunes sont très perméables à la publicité. » Par ailleurs, la publicité pour l’alcool sur internet et les réseaux sociaux, très fréquentés par les jeunes, est peu régulée et particulièrement développée. Et « l’exposition à des contenus pro-alcool augmente significativement l’envie de consommer, les quantités bues et la banalisation des alcoolisations excessives », met en garde l’Inserm.

« Il y a par ailleurs des dizaines et des dizaines de facteurs de risque d’une addiction à l’alcool, poursuit notre spécialiste. Le produit, mais aussi l’individu, sa génétique, son environnement ont un rôle dans la pathologie addictive ».

Quelques pistes pour moins boire

Le rapport de l’Inserm recommande un ensemble de mesures et d’interventions concernant « à la fois la population et les pouvoirs publics » :

  • renforcer la prévention et clarifier l’information sur les dangers liés à la consommation d’alcool,
  • durcir la législation sur la communication et le marketing des producteurs d’alcool afin de réduire son attractivité,
  • favoriser les démarches collectives d’arrêt de la consommation comme le « Dry January » ou Janvier sobre, défi invitant la population à cesser toute consommation d’alcool pendant 1 mois, à l’image du mois sans tabac,
  • limiter l’accès à l’alcool,
  • mettre en place une stratégie de dépistage systématique des consommations à risque, avec les professionnels de santé.

Pour le Dr Mété, « cette question concerne également les bars, les lieux de fête et de convivialité qui doivent montrer que l’on peut aussi avoir du plaisir et du bien-être sans alcool ». Et de poursuivre : « nous avons besoin de mesures de régulations sociétales et politiques car on minimise le danger de l’alcool. Par exemple, la mention obligatoire ‘L’abus d’alcool est dangereux pour la santé’ est trop légère. Il faudrait écrire, comme pour le tabac : L’alcool est toxique’, L’alcool tue, L’alcool est cancérigène…».

Il recommande par ailleurs :

  • la ligne Alcool info service : 0980 980 930 (appel anonyme et non surtaxé 7j/7 de 10h à minuit, heure réunionnaise),
  • les applications sur Smartphone (« les études montrent qu’elles sont très efficaces : elles permettent de suivre sa consommation, avoir une petite info qui nous encourage, etc. », affirme le Dr Mété).

Sources

Synthèse de l’expertise collective Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool (2021) – Inserm

Résumé de l’expertise collective Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool (2021) – Inserm

Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool : synthèse de l’expertise collective de l’Inserm – 3 min 23 – 2021 – Youtube Inserm

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Tous nos articles sont rédigés avec l’aide de professionnels de santé de La Réunion.